Camille Hilaire : un souffle moderne sur la Lorraine artistique

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17/08/2025

L’enfance messine et la formation d’un regard neuf

Camille Hilaire naît à Metz dans une Lorraine à l’identité vibrante, entre influences françaises et germaniques. Son immersion précoce dans la ville lui offre, adolescent, ses premiers modèles : la cathédrale Saint-Étienne, le jardin botanique, les berges de la Moselle… Dès ses 15 ans, dès avant même d’entrer à l’École des Beaux-Arts de Paris, il expose ses dessins et ses aquarelles à la galerie messine Raymond. Cette précocité annonce un œil singulier : attaché à la lumière diffuse et aux perspectives changeantes de sa région (source : Musée de La Cour d'Or, Metz).

L’apport du cubisme et l’innovation picturale

Durant ses années de formation à Paris, Hilaire découvre le cubisme et s’initie à ses techniques à travers l’enseignement d’André Lhote, figure marquante de ce mouvement. Cette influence ressort particulièrement dans :

  • La découpe géométrique des paysages lorrains : Hilaire déconstruit et recompose ruelles, collines et monuments messins dans des toiles comme « Cathédrale de Metz » (vers 1950), où les lignes fragmentées et planes dominent la composition.
  • Des couleurs éclatantes et nouvelles : Sa palette, très vive, rompt avec la tradition picturale régionale plus sombre. Cette tendance se retrouve dans ses œuvres monumentales de vitraux, en particulier à la mairie de Sarreguemines (1961).
  • L’absence de perspective classique : L’espace est volontairement aplati, dynamisé par des plans imbriqués, en écho à la mosaïque urbaine de Metz. La tapisserie « Les vendanges en Moselle » (Musée des Tissus de Lyon, 1960) l’illustre parfaitement.

Avec ce style renouvelé, Hilaire s’impose à partir des années 1940 comme une figure de la modernité picturale en Lorraine.

Les paysages lorrains revisités : symboles et matières

Si Hilaire voyage beaucoup (Tunisie, Italie…), c’est à la Lorraine qu’il revient inlassablement. Il dit lui-même : « J'ai toujours retrouvé la lumière de Metz nulle part ailleurs. » Cette fidélité se traduit par :

  • La série des Paysages autour de Metz (entre 1962 et 1974), où forêts, rivières, blés ondoyants deviennent autant de motifs prétextes à la recherche de l’abstraction.
  • Le traitement novateur de l’eau et de la végétation : Les « Bords de Moselle » mêlent reflets et jeux de transparence, anticipant les tendances de la peinture contemporaine des années 1980.
  • Le motif des ponts messins : Plutôt que de se contenter de la représentation figurative, Hilaire les fragmente, les adoucit, leur confère une monumentalité douce — à voir, par exemple, dans « Le Pont des Grilles », aujourd’hui conservé dans des collections privées.

L’artiste se démarque aussi par le traitement de la matière : empâtements marqués, toiles travaillées au couteau, techniques mixtes. Dans « Parc à Metz » (série de 1971), l’écorce des arbres semble jaillir hors du cadre (source : Musée de la Cour d’Or, catalogue 2014).

L’humain et la fête, la modernité partagée

La modernité hilaire ne se limite pas aux paysages. Elle s’ancre aussi dans sa vision sociale, plus rarement abordée mais tout aussi significative. La série « Les Marchés de Lorraine », exposée au Salon de la Jeune Peinture de 1965, révèle :

  • Des scènes de vie rythmées : Marchés de la rue Taison ou du quartier Outre-Seille, colorés, vivants, dans une perspective dynamique inhabituelle.
  • Des compositions ouvertes : Plutôt que l’anecdote folklorique, Hilaire cherche à saisir le mouvement et le mélange des foules, annonçant le pop art par l’éclat de ses tons.

D’autres œuvres majeures, telles que la tapisserie « Carnaval de Lorraine » (Ateliers d’Aubusson, 1972, 3,60 × 2,50 m), témoignent d’une volonté de transmettre, à travers la fête et les traditions, un esprit en mutation.

L’art monumental et l’ancrage dans l’espace public

Un autre aspect de la modernité lorraine de Camille Hilaire se lit dans son engagement pour l’art monumental, accessible au plus grand nombre. Plusieurs réalisations ponctuent encore aujourd’hui le paysage local :

  • Les vitraux de la mairie de Sarreguemines : Réalisés en 1961, ils modernisent la tradition du vitrail lorrain par des motifs épurés, des aplats de couleur, et une recherche d’abstraction qui rappelle Chagall tout en affirmant sa spécificité.
  • La tapisserie monumentale de Sciences Po Nancy : Commandée en 1982, elle reprend la thématique des lumières et des toits de Lorraine, jouant sur une palette réduite mais éclatante pour représenter la vitalité étudiante.

L’art de Hilaire investit ainsi des lieux de vie collectifs, affirmant la modernité comme vecteur de partage et d’émancipation.

Une reconnaissance nationale et européenne

La portée de son œuvre ne s’arrête pas à la Lorraine. Hilaire expose à la galerie André Weil (Paris, 1952), à la Biennale de Venise (1958), puis dans de nombreux musées européens. Quelques chiffres clés :

  • Plus de 150 expositions personnelles en France, Allemagne, Belgique, Suisse et Luxembourg entre 1945 et 1985 (source : Bibliothèque nationale de France).
  • Ses œuvres figurent dans 35 musées et institutions publiques, dont le musée d’Art moderne de Paris et le Centre Pompidou-Metz.
  • En 1965, il reçoit la médaille d’or de la Biennale Internationale de la Tapisserie à Lausanne, consacrant son apport à ce medium et à la modernité textile.

Cet ancrage à la fois régional et international fait de Hilaire un passeur d’héritage lorrain renouvelé.

À la croisée des techniques : peintre, graveur, créateur de tapisseries

Hilaire n’est jamais prisonnier des frontières disciplinaires. Outre la peinture de chevalet, il explore gravure, lithographie et tapisserie (plus de 200 modèles tissés réalisés, selon l’INHA). Cette pluralité technique :

  • Rend son œuvre immédiatement reconnaissable et accessible à des publics variés.
  • Permet de renouveler constamment les motifs lorrains, du figuratif à l’abstraction pure.
  • Inscrit la Lorraine au cœur de l’actualité artistique du XXe siècle, dans le sillage des grands modernistes européens.
Oeuvre Date Support Lieu de conservation/commande
Cathédrale de Metz 1950 Peinture à l’huile Musée de Metz
Les vendanges en Moselle 1960 Tapisserie Musée des Tissus, Lyon
Vitraux de Sarreguemines 1961 Vitrail Mairie de Sarreguemines
Carnaval de Lorraine 1972 Tapisserie Ateliers Aubusson
Environs de Metz 1974 Aquarelle Collection particulière
Tapisserie Sciences Po Nancy 1982 Tapisserie monumentale Sciences Po Nancy

L’héritage contemporain et les collections messines

Aujourd’hui, l’influence de Hilaire se perpétue à travers de jeunes artistes de Lorraine, mais aussi grâce à la valorisation de ses œuvres à Metz même. Si l’exposition rétrospective organisée au Musée de La Cour d’Or en 2014 a rencontré un record d’affluence (plus de 50 000 visiteurs en 6 mois), c’est que la modernité hilairienne résonne encore dans l’imaginaire local.

  • De nouvelles acquisitions de tapisseries ou d’œuvres graphiques sont régulièrement mises à l’honneur dans les collections publiques messines.
  • Des œuvres majeures sont visibles in situ : vitraux de Sarreguemines, tapisseries dans les bâtiments institutionnels.
  • Le nom de Camille Hilaire est aujourd’hui attaché à plusieurs écoles et salles de culture à Metz et en Moselle, soulignant le lien indissoluble entre l’artiste et sa ville.

La modernité lorraine en mouvement

En revisitant sans cesse les formes, les techniques et l’iconographie lorraine, Camille Hilaire a ouvert la voie à une génération résolument moderne d’artistes régionaux. Son œuvre traverse les décennies sans se figer, interrogeant notre rapport au paysage, à la fête, à l’espace public. Elle invite à regarder Metz et la Lorraine comme une terre de création incessante, où la modernité se conjugue au présent autant qu’au passé.

Pour aller plus loin : Musée de La Cour d’Or (Metz), France Archives, camillehilaire.com

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