Découvrez « Extra » la nouvelle boule de Noël du CIAV (Centre International d’Art Verrier) de Meisenthal, imaginée par Nicolas Verschaeve. Elle est inspirée des culots de bouteilles en verre et est un hommage au génie industriel.
L’ART DU DÉTOURNEMENT DE FOND
Examiner l’intérieur d’une bouteille vide initie un onirique voyage sensoriel. Le regard se faufile le long du goulot, dévale lentement les parois et s’échoue sur un insulaire culot et sa lisière de petites nervures de verre. Les lumières du jour foudroient le verre et la réalité du dehors se réincarne en un hypnotique paysage de reflets colorés, façonné de miraculeux petits mirages. Le designer Nicolas Verschaeve a souhaité prolonger cette expérience enivrante en donnant naissance à la boule de Noël Extra, résultat d’un élégant détournement de fond. Par un subtil remaniement de détails caractéristiques des bouteilles industrielles, il en révèle les qualités esthétiques en invitant le culot – de coutume pudique et anonyme – à se faire la belle, rejoindre l’air libre et dévoiler ses généreuses rondeurs. Une belle manière de rendre l’ordinaire EXTRAordinaire.
Entretien avec Nicolas Verschaeve, designer et auteur de la boule EXTRA
Nicolas Verschaeve est né en 1995 à Bruxelles. Après une enfance dans un petit village du Languedoc et une formation en arts appliqués au lycée de Lodève, il poursuit en 2012 des études supérieures en design à l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs (EnsAD) de Paris.
En 2017, en parallèle de son diplôme, Nicolas Verschaeve met en place un dispositif de travail itinérant, condition première à une démarche qui se veut située.
à bord de son bureau de design mobile, il intervient désormais en tant que designer-chercheur dans les domaines du design d’objet, de mobilier et de la conception d’espaces.
Depuis septembre 2022, il enseigne également à l’école supérieure d’art et de design (ésad) de Valenciennes en qualité de professeur en design, ressources et matériaux.
Raconte-nous ta première rencontre avec Meisenthal et le verre.
En 2015, à l’occasion d’un workshop organisé par l’EnsAD de Paris, sous la direction du designer Pierre Favresse (F), j’ai franchi pour la première fois la porte des ateliers du Centre International d’Art Verrier de Meisenthal. à cette occasion, en tant qu’étudiant, j’ai découvert un matériau et des savoir-faire extraordinaires. J’ai pu également vivre l’expérience fondatrice d’une démarche que je mène encore aujourd’hui en mesurant combien il est important de pouvoir faire coïncider penser et faire dans un même espace-temps. Cette posture de proximité et d’échange nourrit de manière déterminante la fécondité des relations entre créateurs et fabricants.
Ce qui semble faire lien entre cette expérience fondatrice et les projets que tu mènes depuis, c’est justement cet intérêt majeur pour le contexte de création.
En effet, mon approche consiste principalement à composer avec le déjà-là, à révéler les richesses techniques, humaines et symboliques qui irriguent les lieux d’un projet. Il s’agit d’une part de prêter attention à l’esprit des lieux, à ce qui en fait sa singularité ; et d’autre part à embrasser des composantes très pragmatiques du contexte dans lequel j’agis : la nature des ressources locales, les savoir-faire qui se sont développés à partir d’elles, les réalités techniques d’un atelier, les hommes et les femmes qui y travaillent, l’économie d’un territoire, son héritage culturel et social…
Pour aller au bout de cette posture, tu as initié une démarche nomade, te permettant de t’engager au plus près des territoires, t’y immerger, y vivre, pour les comprendre et les interroger.
En 2017, j’ai mis en place un dispositif de travail mobile prenant la forme d’un van aménagé qui me conduit depuis au plus près du terrain et des structures de transformation de la matière. C’est ainsi que de 2017 à 2018, j’ai fait une première escale dans le sud-ouest de la France pour y développer un projet de mobilier croisant les savoir-faire liés à la fabrication de planches de surf et à l’ébénisterie traditionnelle. J’ai ensuite fait une seconde escale à Meisenthal pour développer le projet Sillages entre 2020 et 2022. Mon intention première a été de porter un regard sur le patrimoine industriel verrier local, à travers l’outil de production qu’est le moule. J’en ai déconstruit la fonction principale – la reproduction en série – pour concevoir et fabriquer un moule modulaire en bois, véritable outil d’expérimentation de la matière et de conversation avec les verriers, qui a été le fil rouge de ma volonté d’explorer les capacités et limites du matériau.
Tu sembles principalement attaché à des projets qui convoquent des médiums et savoir-faire traditionnels. Pourquoi cet attachement aux process artisanaux amarrés à des territoires ?
Je m’intéresse autant aux échelles de production artisanales qu’industrielles, pour ce qu‘elles permettent respectivement. Cependant, du fait de leur échelle à taille humaine, agir au cœur même de structures artisanales permet d’initier des espaces-temps féconds de recherche au travers d’une prise directe avec la matière, ses propriétés, les outils qui lui donnent forme ainsi que les hommes et les femmes qui la travaillent. La vraie qualité d’un projet réside dans la capacité des designers et artisans à trouver un langage commun face à une grammaire technique. Les uns, chefs d’orchestre de la matière en transformation, s’expriment par la pratique de leur savoir-faire, les autres s’engagent au travers d’un intérêt pour l’exploration de nouveaux possibles. Il y a projet quand ces rôles se croisent, s’échangent et se complètent.
Fort de ton implication durant deux ans dans les ateliers du CIAV, il t’a été proposé d’imaginer une boule de Noël pour le compte de la ligne éditoriale du CIAV. Et l’on sait combien l’exercice de concevoir une boule de Noël est difficile. Comment as-tu abordé ce travail ?
Imaginer une boule de Noël peut paraître relativement simple à première vue, mais peut aussi s’avérer vertigineux. Simple, car il s’agit d’un objet modeste et que l’équipe qui entoure ce projet est particulièrement rodée. Vertigineux, car la boule de Noël porte indéniablement en elle la force de l’héritage du patrimoine verrier de ces vallées tout en étant éminemment populaire. La pression est forte ! Pour moi la période de Noël est synonyme de retrouvailles, de convivialité et de moments de célébrations intimes des choses simples de la vie. Il s’agit par exemple, ni plus ni moins, de se retrouver autour d’une table et d’un repas, en famille ou entre amis, pour partager pleinement des instants heureux… comme quoi les circonstances peuvent transformer des moments de coutume quelconques en des événements exceptionnels ! La manière dont j’aborde les projets est quelque peu similaire ; je prends souvent appui sur l’existant, sur des éléments qui m’entourent. L’idée étant simplement de recomposer le déjà-là et faire un petit pas de côté pour les transformer et les transposer dans un autre contexte. Il m’a ainsi rapidement semblé faire sens de détourner les codes esthétiques d’un objet associé à la convivialité, au partage.
Tu es parti des bouteilles en verre, objets-archétypes produits en masse. Qu’est-ce qui te séduit dans ces objets ?
J’ai toujours été fasciné par la force des objets-archétypes, par leur capacité à se mettre à notre service sans que nous n’y prêtions vraiment attention. Qu’elles contiennent de l’eau, une boisson festive ou tout autre liquide, les bouteilles en verre, objets du quotidien au design anonyme, sont comprises de manière universelle. Elles répondent à un besoin immédiat et fonctionnel de transport, de stockage, de conservation… Achetées, rangées, vidées puis mises au rebut ou à la consigne, nous les manipulons tous les jours et pourtant elles passent inaperçues. D’une manière plus large, nos vies sont peuplées d’objets fonctionnels et familiers rendus invisibles par leur omniprésence et j’aime l’idée de les redonner à voir en les détournant de leur fonction première.
Tu as décidé, dans ce contexte, de les regarder véritablement comme des objets singuliers, de les autopsier en quelque sorte.
Une fois débarrassée de ses étiquettes, chaque bouteille en verre exprime sa personnalité à travers ses proportions, ses mensurations, son dessin, son col, ses courbes, sa couleur. Les unes sont typiques d’un terroir, les autres associées à une typologie de boissons ou à une marque. Au-delà de leur esthétique, plonger son regard à l’intérieur d’une bouteille nous invite à une expérience étonnante ! La lumière du dehors traverse le verre, les paysages extérieurs se déforment et l’on s’immerge dans un espace paré d’envoûtants petits mirages. Un ensemble de détails insoupçonnés sont alors révélés et l’objet, de coutume anonyme, déclame toute son unicité et sa beauté.
C’est de cette expérience d’exploration intérieure qu’est née la boule de Noël Extra.
Oui, j’ai souhaité révéler ce que l’on ne voit pas ou plutôt ce qui est peu regardé. Une fois cette intention posée et remarquant qu’au-delà de leur apparente similitude, nombre de bouteilles cumulent de subtiles singularités, je me suis attelé à les inventorier. J’ai rapidement été séduit par leurs culots, un marqueur universel que l’on retrouve notamment dans la grande majorité des bouteilles de vin. J’ai envisagé cet attribut technique comme un point de départ formel dont j’allais pouvoir détourner les qualités esthétiques. Ce fond de bouteille qui se dissimule pudiquement et ne se dévoile totalement qu’une fois le contenant orphelin du liquide qu’il protégeait, allait enfin se montrer au grand jour. J’ai pour cela imaginé son extraction. Par des étapes de moulages et de dessins j’ai exploré différentes pistes de réinterprétation, pour finalement retenir, dans toute cette généalogie, une forme qui allait donner naissance à la boule de Noël Extra.
Il est assez intéressant de constater que la boule Extra inverse le processus classique de glissement d’une production artisanale vers une production industrielle.
Les qualités du verre, sa stabilité, sa transparence, sa capacité à revêtir différentes formes ont rapidement supplanté les contenants en terre à l’origine utilisés pour la conservation et le transport des boissons. D’abord fabriquées de manière artisanales, les bouteilles en verre sont – depuis l’avènement de la production mécanisée – produites en masse sur des lignes de production, dont les prouesses techniques ont permis de démocratiser l’accès à cet objet et aux boissons qu’il recèle. L’idée d’inverser le processus et de soustraire cette production à la machine pour la remettre entre les mains des verriers, tout en faisant diverger la forme et l’usage de l’objet finalement fabriqué, m’a beaucoup intéressé.
Qu’évoque finalement pour toi Extra, la boule de Noël 2022 ?
La boule Extra n’a pas vocation à être interprétée au sens littéral ou narratif, mais distille juste ce qu’il faut d’indices pour que l’on soupçonne sa filiation. Née d’un détournement de fond, elle est une descendante d’une longue lignée d’objets, l’enfant extraordinaire d’aïeux ordinaires. Comme certaines bouteilles en verre qui passent de la cave au salon, la boule Extra exprime la magie d’un terroir et le présage de moments heureux. Elle nous suggère surtout l’idée que tout est question de point de vue et qu’un simple pas de côté peut permettre de sublimer l’ordinaire.